A la demande de l’Humanité, un militant d’ile de France a été invité à croiser la plume avec Jacques Baudrier (conseiller PCF à Paris) et Daniel Breuillet (vice président de la métropole) sur le thème du droit à la ville : une dimension sociale et politique du bien vivre en ville.
Et pour que les idées se fassent éventuellement butinées,il nous autorise à publier son texte.
Y a du grain à moudre, vraiment.
La ville violente
Hier, Paris était symbiose. Un jeune de province venait y rencontrer la vie mondaine, y flânait dans l’atmosphère d’une place de Balzac où une belle rencontre pouvait se concrétiser, dénichait, pas tout le temps mais souvent, un emploi prometteur. Aujourd’hui, Paris est une petite mansarde pour les deux tiers d’un salaire qui assujettit des jeunes espoirs à une maladie douloureuse, l’incapacité d’agir. Paris hier, c’était l’horizon ; Paris aujourd’hui, c’est la soumission.
Paris n’est plus le seul symbole de la vie urbaine française. Les dynamiques de la capitale s’observent maintenant dans différentes métropoles. Toutes ou presque, articulent leurs politiques de développement autour d’une même trajectoire, celle de l’accélération. L’accélération de la concurrence économique d’abord, gloire à la ville qui saura attirer les entrepreneurs internationaux. L’accélération des flux sociaux ensuite, en offrant la capacité aux citadins de vivre jour et nuit. L’accélération de l’image du territoire enfin, lorsque la spécificité d’une terre est plébiscitée comme seule variable d’attractivité. Ce faisant la vie métropolitaine fabrique au quotidien de l’exclusivité : aux peu rapides et aux peu endurants, la vie de relégation dans les banlieues et l’invisibilité dans les politiques publiques. La ville voit également s’éloigner l’éclat d’une richesse: l’intelligence collective qui émerge de la diversité des individus qui la compose. La verticalité des projets architecturaux cachent une autre vérité : extrêmement régulée et ségrégative, la grande ville est plate tel un champ qui vient d’être moissonné.
Penser la ville libre :
Le lot d’injustices que portent les politiques urbaines entrainent des réactions. Un corps ambitieux se lève brandissant de nouveau les emblèmes d’une fierté retrouvée : ceux de la proximité.
A l’image de ce qu’Henri Lefebvre appelait déjà en 1968 « le droit à la ville », des habitants se réapproprient les espaces tant cachés que visibles pour y porter des projets collectifs. Assez comédiens pour habiter davantage les places publiques que les appartements, assez peintres pour oser donner à quelques murs un esthétisme renouvelé, assez curieux pour donner chances à quelques graines potagères de s’élever entre deux pavés, ces habitants font naitre la dimension depuis trop longtemps refoulée de la ville comme œuvre.
A contre-courant de l’accélération catalysée par les pouvoirs publics, ces habitants aux récits alternatifs invitent à ralentir en relocalisant tant leurs pratiques quotidiennes que leurs projets de vie. Mais que le lecteur ne se méprenne pas, la proximité qui se joue ici est bien plus qu’une situation : elle est relation, elle est énergie. Car se dégage d’un « bonjour » accordé au passant, de l’attente quelques jours durant d’un livre commandé chez le libraire, de la contemplation d’une plante, d’un restaurant dont la carte est connue par cœur, une lutte permanente pour sortir de l’anonymat, un combat pour le bien vivre, une bataille pour l’existence.
Si ces démarches sont parfois reconnues par des politiques incitatives, à l’image des budgets participatifs, ces dernières restent insuffisantes : les projets citoyens sont trop souvent considérés comme des démarches minoritaires, auxquelles sont accordés des budgets minoritaires. Pourtant ces alternatives ouvrent la voie à la fabrique nouvelle de communs urbains. Des communs qui invitent à penser une ville comme un paysan considère une terre, contribuant tant au développement de la cité qu’à la beauté des paysages. Des communs qui invitent à construire une ville comme un sage pense une savane, un milieu pouvant abriter plusieurs chemins, plusieurs villages
Après l’urbanité, développer le droit à l’habiter :
Mais le « droit à la ville » des premiers penseurs s’est aujourd’hui en partie effrité face aux enjeux qui caractérisent les sociétés contemporaines. Car la ville ne s’affirme plus comme seul horizon possible à une trajectoire émancipatrice. Le péri-urbain et la campagne sont considérés par un nombre grandissant de citadins comme une échappatoire possible. Malgré tout, les imaginaires associés à la ville s’accrochent à la diffusion d’un mythe injuste : que seules les opportunités émergent de la vie urbaine. Cette pensée est tellement ancrée chez les citadins et tellement insufflée par les politiques que, même lorsque la vie se fait difficile, même lorsque le cœur est ailleurs, le corps reste attaché à l’oppression urbaine. Bien souvent, les métropoles sont des cages.
Penser l’émancipation demande alors de décentrer le regard des villes pour donner à voir les pratiques créatives qui s’inventent en dehors de celles-ci. Elle demande également de porter des politiques publiques ambitieuses autour d’un dialogue renouvelé entre les villes et les campagnes. Le « droit à la ville » doit aujourd’hui se muer en un « droit à l’habiter » offrant à chacun la possibilité de vivre libre dans un territoire aimé et choisi. Ainsi et seulement ainsi, le promeneur averti pourra alors apercevoir de nouveau des traces, sur un béton depuis trop longtemps immaculé.
Damien DEVILLE
Doctorant en géographie et anthropologie de la nature
Coprésident AYYA