Prenant acte des propos du ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, appelant les scientifiques à faire la preuve des conséquences sanitaires des pesticides, un collectif de médecins et de chercheurs propose, dans une tribune au « Monde » de lui adresser un rapport mensuel.
Tribune.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré sur l’antenne de RTL, le 19 octobre : « Sur la question des bébés sans bras, il faut que la science fasse son travail. C’est aux scientifiques de faire la preuve ou non qu’il y a des conséquences à l’usage des pesticides. » Ce qu’un journal [Le Nouvel Observateur] a cru pouvoir traduire sur son site par : « Pesticides, Didier Guillaume réclame aux scientifiques des preuves de leur impact sur la santé ».
Si l’on s’en tient à la loi, ce n’est pas aux scientifiques d’apporter la preuve de la toxicité des pesticides, mais bien aux industriels de démontrer l’absence de nocivité de leurs produits. De plus, cette preuve devrait être faite avant leur mise sur le marché et validée par des organismes indépendants certifiés comme c’est le cas pour les médicaments qui, pour être commercialisés, doivent avoir reçu une AMM (Autorisation de mise sur le marché).
Dans le cas des excès d’agénésies transverses des membres supérieurs, rien ne permet actuellement d’infirmer que les pesticides n’en soient pas la cause. La question était seulement de savoir s’il fallait chercher plus loin ou non ? Nous le croyons, et nous pensons surtout qu’un travail d’analyse épidémiologique et d’exposition doit être réalisé sans tarder.
Nous prenons acte des récents propos de la ministre de la santé mais nous nous étonnons des délais considérables existant entre les alertes aux services concernés et les investigations, les signalements dans l’Ain datant de 2010 ! Ces alertes et les investigations qui en résultent devraient être portées à la connaissance du public sans attendre plusieurs années, le temps finissant par effacer les possibles éléments de preuve !
Un lien fort
Concernant les effets toxiques des pesticides, les scientifiques accumulent les preuves depuis de nombreuses années, à tel point qu’il n’est plus nécessaire d’invoquer le principe de précaution mais celui de prévention. Les études s’accumulent, les consensus également.
Le dernier rapport d’expertise collective de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) confirme un lien fort entre l’exposition aux pesticides et le développement de nombreux cancers chez les professionnels qui les manipulent tels que le lymphome non hodgkinien, le myélome multiple et le cancer de la prostate. Les maladies neurodégénératives sont également corrélées à cette exposition, preuve en est que la maladie de Parkinson est désormais reconnue comme maladie professionnelle chez les agriculteurs.
Il n’est plus nécessaire d’invoquer le principe de précaution, mais celui de prévention
Cette même synthèse de l’Inserm rappelle que l’exposition aux pesticides pendant la grossesse majore fortement le risque de leucémies, de tumeurs cérébrales, de malformations et de troubles du développement cérébral chez l’enfant. L’exposition de l’enfant en bas âge – par l’usage d’insecticides domestiques ou parce que l’habitat est proche de zones régulièrement traitées – augmente également le risque de leucémie et de troubles du développement cérébral.
Le déclin des insectes ou celui des oiseaux nicheurs, la disparition de la biodiversité sont également directement imputables aux pesticides. D’autres faits vous sont connus, nous n’en doutons pas : les pesticides ont contaminé l’ensemble de la population à tel point qu’il n’est plus possible de retrouver une femme enceinte sans traces urinaires de pyréthrinoïdes, insecticides ou d’organophosphorés.
Vous n’êtes pas sans savoir que beaucoup de ces pesticides imprégnant la population sont également des perturbateurs endocriniens, et que ce n’est pas leur dose qui fait leur toxicité mais le moment (notamment la grossesse) et la durée d’exposition. Ces perturbateurs endocriniens amplifient le risque de cancer prostatique, testiculaire et mammaire, d’infertilité, de puberté précoce, de diabète et de maladies neurodéveloppementales et allergiques. L’EFSA [Autorité européenne de sécurité des aliments] a indiqué, dans son rapport annuel, en 2013, que sur 287 pesticides, 101 avaient des effets sur l’axe thyroïdien et 97 présentaient une neurotoxicité.
Les scientifiques ont donc accumulé des preuves –jamais définitives, toujours incomplètes– mais qu’en ont fait les politiques ?
La France en tête des pays utilisateurs
Les industriels, quant à eux, se sont rendus indispensables : il est devenu impossible d’imaginer un autre modèle agricole sans leurs produits. Et ils se sont aussi imposés dans les comités internationaux chargés d’édicter les grandes règles d’évaluation de leurs propres produits… Et les agences européennes et nationales fondent largement leur expertise sur les tests effectués par ces mêmes industriels.
L’usage du glyphosate et des pesticides en général ne cesse d’augmenter, et la France reste en tête des pays utilisateurs de pesticides. De plus, aucune norme ni réglementation ne concernent les pesticides présents dans l’air que l’on respire alors qu’ils y sont régulièrement détectables notamment en période de traitements et ce même à plusieurs centaines de kilomètres du lieu d’épandage.
A contrario, depuis plus de quarante ans, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) fonde son expertise sur les études publiées dans des revues à comité de lecture, la plupart issues de la recherche publique. La controverse entre ces mêmes agences et le CIRC concernant le classement du glyphosate comme cancérigène probable en fournit l’illustration. Deux points de vue, deux méthodes.
Monsieur le ministre, puisque vous semblez douter des nombreuses études ayant démontré la responsabilité des pesticides dans de nombreux cancers, de maladies neurodégénératives et neurodéveloppementales, allergiques, ainsi que malformatives, nous nous engageons à vous aider en vous envoyant une étude scientifique par mois jusqu’à la fin de votre mandat. Nous vous demanderons également – au nom des menaces qui pèsent tant sur l’environnement que sur la santé humaine – de respecter le principe de précaution et de placer l’intérêt public – la recherche mais aussi la santé – avant celui des industriels.
Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche (DR1) à l’Inserm et directrice équipe EPAR : épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires ; Jean-Marc Bonmatin, chercheur (CNRS) au Centre de biophysique moléculaire d’Orléans ; Thomas Bourdrel, médecin, membre du collectif Strasbourg Respire ; Laurent Chevallier, médecin nutritionniste attaché au CHRU de Montpellier ; Barbara Demeneix, biologiste au Muséum national d’histoire naturelle ; Eric Ferraille, médecin, président de la fédération des associations de protection de l’environnement en Rhône-Alpes ; Pierre-Michel Périnaud, médecin et président de l’AMLP (Alerte des médecins sur les pesticides) ; Philippe Ricordeau, médecin spécialiste en santé publique, épidémiologiste ; Pierre Souvet, médecin, président de l’Association santé environnement France ; Charles Sultan, professeur d’endocrinologie pédiatrique, à l’université de Montpellier.