Contribution Sophie Bringuy et Charles Fournier : développer un leadership écologiste coopératif

Nous vous relayons la contribution de Sophie Bringuy, Conseillère Régionale Pays de la Loire, médiatrice, formée au dialogue territorial et à la négociation raisonnée et de Charles Fournier, Vice-Président de la Région Centre-Val de Loire en charge de la démocratie participative et membre de la CNDP.

Développer un leadership écologiste coopératif

« Soyons le changement que nous voulons être »

Nous avons lu avec attention les contributions partagées à l’issue de la séquence des élections européennes. Les expressions convergent en plusieurs points.

D’abord, une conscience partagée. Celle de notre responsabilité et de l’importance de prendre notre destin en main pour être à la hauteur des enjeux environnementaux, humanitaires, démocratiques, économiques de notre époque.

Ensuite, des aspirations fortes. Celle de faire de l’écologie la ligne d’un mouvement politique majoritaire. Celle de devenir la colonne vertébrale progressiste de la recomposition du paysage politique français.

Enfin, des besoins de reconnaissance, d’appartenance, de sécurité.Ceux d’être respectés en tant que minorité ou majorité de notre organisation, avec ce que nous pouvons nous apporter les un.e.s les autres. Ceux de disposer d’un cadre sécurisant pour le bon fonctionnement collectif, permettant des relations de confiance à même de favoriser l’intelligence collective.

La conscience partagée et les aspirations fortes qui nous animent – certes des moteurs essentiels pour lancer l’entreprise de transformation d’Europe Ecologie Les Verts que nous souhaitons et qui est attendue de nous – seront insuffisantes si nous restons incapables de prendre soin du facteur humain dans notre fonctionnement collectif.

Faisons un pas de côté et interrogeons-nous sur ce que serait notre leadership écologiste.

Nous entendons le leadership écologiste comme notre capacité à agir, motiver, donner envie et à contribuer à la concrétisation du projet écologiste. Faire en sorte que ce qui est délié se relie pour entrer en mouvement collectivement et générer du projet et de l’action communs.

Si nous restons flous sur cette question, deux écueils nous guettent :

1.Le premier écueil serait de se lancer dans une course à l’hégémonie, où l’objectif de contenir ou noyer l’autre devient prioritaire à la mise en action, où nous oublions en chemin nos aspirations et objectifs sur l’autel d’une fin qui justifie les moyens et des moyens qui au final prennent l’ascendant sur la fin.

Ce serait alors reproduire le système de pouvoir pratiqué depuis des décennies par les forces politiques jusqu’alors majoritaires. Rester enfermés dans des rapports violents et stériles jusqu’à s’auto-bloquer.
Mépriser l’autre, celui ou celle qui pense différemment et appauvrir notre propre pensée.

Bref, ne pas exercer notre leadership, mais seulement entretenir des rapports de forces qui font impasse.

2.Le second écueil serait de cultiver la posture minoritaire à force d’intériorisation depuis des années de rapports de forces défavorables. Afficher une volonté de conquête tout en appréciant de pouvoir être de fervents commentateurs et juges de ce que font les autres. Rester spectateurs en toute bonne conscience, car c’est de la faute aux autres si nous échouons. Les autres étant celles et ceux qui pensent différemment, dans la famille écologiste et au-delà.

Bref, ne pas exercer notre leadership, mais cultiver plus ou moins consciemment une impuissance d’agir.

*Et si le leadership écologiste était un leadership coopératif ?*

A ce stade des échanges, nous constatons que nos réflexes reprennent le dessus. Chacun.e veut tirer le mouvement de son côté, là où sont ses convictions quant à la bonne stratégie pour avancer.

Le bon cheminement est sans nul doute, ni celui que tu crois, ni celui que je crois, mais celui que nous pouvons construire ensemble si nous coopérons.

Ce pas vers l’autre, cette ouverture à la coopération est complexe : elle touche à nos croyances et systèmes de valeurs. A ce qui nous constitue, les fondements de notre identité. Pour beaucoup, entrer dans une démarche authentiquement coopérative, au sens où l’entend Jürgen Habermas quand il nous invite à cultiver l’agir communicationnel, suscite a minima la méfiance, plutôt une forme de dérision (« on n’est pas des bisounours ») voire même un profond rejet.

Cependant, à moins de nous projeter dans une dictature verte qui pousserait à l’extrême le rapport de force, nous pouvons faire le pari que c’est en développant l’esprit et les savoir-faire de coopération – qui sont dans les fondements de l’écologie politique – que nous pourrons relever les défis liés aux bouleversements écologiques avec espoir.

Comment espérer l’émergence d’une société coopérative si nous-mêmes, au sein d’Europe Écologie Les Verts, nous restons dans l’incapacité de devenir un mouvement coopératif, qui incarne le possible de cette utopie collective et peut donc rayonner par l’exemplarité ?

Nous reconnaissons que c’est un véritable défi, surtout dans le système politique actuel. Nous sommes cependant aussi convaincus que si nous ne relevons pas ce défi, nous resterons dans la reproduction de ce que nous savons trop bien faire. Qu’au lieu de construire de nouveaux possibles, nous courrons après une prochaine vague favorable, un nouveau cycle
d’espoir… voué à des déceptions de plus en plus raides. Y aura-t-il d’ailleurs une prochaine vague favorable ?

Ce défi, nous devons aussi le relever pour les fameuses « générations futures », celles qui sont déjà là et subiront le plein fouet la bombe à retardement que les adultes d’hier et d’aujourd’hui leur lèguent. Ces jeunes qui ont voté pour nous, en fait pour l’écologie, ont sans doute aussi voté pour une transformation de la vie politique, pour que s’inventent de nouvelles manières de nous organiser afin de relever les défis inédits devant lesquels nous sommes.

Ces jeunes, pensez-vous une seule seconde que s’ils assistent à un conseil fédéral ou tout autre instance du parti, ils auront envie de cheminer avec nous ? Non. Construisons pour eux une maison du dialogue écologiste désirable et créative, dans laquelle nous saurons coopérer dans l’écoute, le respect de la diversité, la joie de partager. Dans laquelle nous saurons construire la vision commune et la solidarité nécessaires pour traverser les crises qui nous attendent.

*Passer des aspirations à la mise en musique.*

Des expériences de démocratie coopérative réussies, nous en connaissons.
A chaque fois, les ingrédients sont la confiance, le respect, la non-violence ou bien encore le plaisir.

Elles nécessitent au préalable un processus d’apprentissage collectif, dans un cadre clair et sécurisant. Nous avons l’occasion dans l’élan des européennes de nous lancer dans une belle aventure, celle d’une form’action collective pour dessiner et donner corps à la première formation politique coopérative, du local au national.

Si nous apprenons à nous rassembler, alors nous pourrons tout naturellement rassembler autour de nous, en développant un leadership écologiste à la hauteur des enjeux de notre époque. Il sera crédible pour relier les mobilisations citoyennes (marches climats, coquelicots, youth for climate…), pour créer les passerelles entre toutes les initiatives citoyennes et pour porter les transformations tant attendues par ce peuple de l’écologie.*

En 2009, nous avions l’intuition que la coopérative était le chemin vers le leadership écologiste. Les ingrédients n’étaient pas réunis.

En 2019, nous avons expérimenté et appris. Nous sommes aujourd’hui en capacité de transformer l’essai. Aucun.e d’entre nous ne sait exactement à quoi cette formation politique coopérative ressemblera. Nous en préciserons les contours en avançant.

Cependant, pour réussir cette entreprise créative, nous avons d’abord besoin de restaurer la confiance et créer les conditions de
l’intelligence et de l’agilité collective. Dans cette démarche soyons humbles et mobilisons la fonction du tiers, celle de la médiation, du garant du processus neutre, impartial et indépendant. Dotons-nous d’un conseil des sages pour veiller sur nous et nous accompagner. Un exemple : la mission de dialogue mobilisée dans le cadre du conflit en Nouvelle-Calédonie en 1988*. Mettons toutes les chances de notre côté car, comme beaucoup l’ont écrit, la situation « nous oblige ».

Commençons par nous donner le temps de poser les bases de notre mutation, avant de nous jeter de manière prématurée dans des conjectures de refondation. Nous pouvons très bien assurer les municipales tels que nous sommes aujourd’hui. Nous avons bien réussi les européennes ! Gérons l’instant présent tout en lançant un processus de fond avec son propre rythme.

La vérité, c’est qu’il n’y a aucune garantie que notre proposition fonctionne. Par contre, il est certain que si nous croyons que la seule expérience de 2009 et notre conscience accrue de la responsabilité qui nous incombe suffiront à « tout changer », nous nous leurrons. A chaque sentiment d’insécurité – et il y en aura – nos vieux réflexes prendront le pas sur nos belles aspirations.

Donnons-nous la chance de vraiment faire de la politique autrement cette fois-ci. La situation nous y oblige.