EELV cherche à élargir ses bases avant les municipales

Six partis écolos se sont regroupés lundi sur une plateforme commune. Après le bon score d’EELV aux européennes, ils espèrent jeter les bases du rassemblement en vue des municipales, voire de la présidentielle.

Vu de Médiapart.

Des anciens, et des nouveaux. Devant les cheminées fumantes de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine (94), ils ont immortalisé, lundi 8 juillet, leur jeune union devant les caméras. Sur la photo de cette famille recomposée, cinq écolos au style différent : la « nouvelle star » d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), une ancienne ministre de l’écologie sous le quinquennat Hollande, un ex-Vert qui avait claqué la porte, un centriste, et quelques récents convertis…

Autour de Yannick Jadot, ils prennent la pose, tout sourires sous un soleil de plomb. Il y a ceux qu’on connaissait déjà : la députée des Deux-Sèvres, présidente de Génération écologie (GE), Delphine Batho, et le président du Mouvement des écologistes indépendants (MEI), Antoine Waechter.

Ceux qu’on savait dans les parages : Jean-Marc Governatori, d’Alliance écologiste indépendante (AEI), et François Damerval de CAP 21, le parti centriste de l’avocate spécialiste du droit de l’environnement, Corinne Lepage. Et puis ceux qu’on ne s’attendait pas à trouver là : le mouvement des progressistes (MDP), la formation créée par l’ancien communiste Robert Hue, que Delphine Batho a embarqué dans l’aventure… Seul manquait à ce tableau le Parti animaliste qui a rechigné à quitter ses prérogatives mono-thématiques pour rejoindre la bande des six.

Un rassemblement, pas une symbiose. Pour l’heure, les nouveaux copains d’EELV n’envisagent pas de prendre leur carte au parti de Yannick Jadot. Il s’agit de « travailler ensemble », voire de « se dépasser ». Certainement pas de se dissoudre.

Devant les journalistes, Delphine Batho s’enthousiasme : « C’est un événement important de la politique française, une nouvelle espérance est en train de se lever autour de l’écologie ! » « Pendant des années, nous avons placé la barre trop bas, or il n’y a pas de politique écologique sérieuse sans que les écologistes ne prennent le pouvoir », abonde Antoine Waechter, qui fut une figure historique des Verts jusqu’à ce qu’il claque la porte en 1994.

Jointe par Mediapart quelques jours plus tôt, Corinne Lepage partage elle aussi cette ambition : « Les querelles de chapelle doivent s’arrêter, on doit construire un grand mouvement de rassemblement large, du centre à la gauche. C’est le seul moyen de contrer l’offensive terrible contre l’environnement menée par Emmanuel Macron. »

Finies les divisions absurdes de tous ces petits partis qui riment avec écologie, assurent les participants. Jusqu’alors éclatée, la galaxie écolo a décidé d’habiter le même système solaire. « C’est une mesure de bon sens, on a toujours eu trop d’écolos dehors », souligne Bruno Bernard, le « monsieur élections » d’EELV.

Une première étape du processus qui vise à créer, à terme, un pôle écologiste rassembleur, capable d’incarner l’alternance à la droite de Macron et à l’extrême droite de Le Pen lors de la prochaine présidentielle. Le premier étage de la fusée vers l’Élysée, en quelque sorte.

Quant au deuxième étage, il sera composé de matériaux sans doute un peu plus composites. Guillaume Balas, le bras droit de Benoît Hamon, doit rencontrer Yannick Jadot cette semaine pour discuter d’un éventuel rapprochement avec Génération.s. Il se pourrait qu’à terme, certains écolos passés sous pavillon France insoumise retournent à leurs premières amours.

Les Verts rêvent aussi d’attirer Aurore Lalucq, Pierre Larrouturou et Raphaël Glucksmann, les plus écolos de la liste Place publique/PS sur laquelle ils ont été élus aux européennes. Et ne désespèrent pas de faire revenir au bercail, déjà, Pascal Durand : parti en campagne aux européennes sur la liste de La République en marche, il a, depuis sa réélection, montré de vrais signes d’agacement sur la politique  menée par le gouvernement.

En attendant 2022, la petite bande est bien décidée à capitaliser sur le score des européennes pour gagner des villes aux municipales. Ce ne sera pas si simple puisque EELV laisse à ses militants locaux la possibilité de choisir eux-mêmes leurs alliances – qui seront donc à géométrie variable.

Mais, dans un contexte où la gauche et les écolos pèsent environ 35 % du corps électoral, il n’y a pas de petit profit. Avec ses 13,5 % du 26 mai dernier, Yannick Jadot ne fait pas la fine bouche devant le 1,8 % réalisé par la liste Urgence écologie (qui regroupait déjà GE, MEI et MDP) au européennes… Le Parti animaliste et ses 2 % est aussi très convoité.

L’addition fera-t-elle la force ? Chez les écolos, les avis divergent. D’autant que si une ribambelle de logos, dont le tournesol d’EELV, orne le communiqué de presse actant l’union, elle n’a pas été officiellement votée par la base militante. C’est en toute discrétion qu’elle a été scellée le 20 juin, à L’Hôtel du Nord, un restaurant du canal Saint-Martin du Xe arrondissement parisien, que Yannick Jadot affectionne. Autour de la table, les patrons des partis ont parlé stratégie et imaginé leurs victoires prochaines.

Quitte à verser dans un « électoralisme » de courte vue, accusent certains… À EELV, il se dit que Yannick Jadot privilégie, à tort, les mathématiques électorales aux dynamiques politiques. L’intéressé ne s’en défend pas : « Il y a des gens qui ne sont pas de gauche mais qui ont voté pour nous aux européennes. On ne va pas leur dire “merci, et salut” ! Et pour passer de 3 à 9 millions de voix [à la présidentielle], on a besoin d’électeurs. »

« Additionner des partis, ça ne construit pas une histoire ! », soupire pourtant une figure écolo bien connue. La même file la métaphore : « Le rassemblement de la famille écolo, on l’a déjà fait, ça n’a pas marché. Tout ça me fait penser à “un jour sans fin”. »

« C’est un peu “on prend les mêmes et on recommence” », abonde l’universitaire spécialiste de l’écologie politique, Vanessa Jérôme. Comme un symbole, le « come back » d’Antoine Waechter fait sourire. À la fin des années 1980, l’inventeur du « ni-ni » (ou plutôt du « et de droite et de gauche, du moment qu’ils ne sont pas productivistes », précise Vanessa Jérôme) avait imposé au parti une ligne d’autonomie politique de l’écologie contre ceux qui plaidaient pour un rapprochement à gauche. Après les européennes victorieuses en 2009, le fondateur du MEI avait fait alliance avec EELV en Alsace et dans le Haut-Rhin, avant de s’éloigner à nouveau…

Une histoire d’amour et de ruptures… Vouée à se répéter ? « Notre accord court jusqu’aux législatives de 2022, il ne faudrait pas que notre union soit un feu de paille », espère Antoine Waechter, qui juge que, cette fois-ci, « ce qui change par rapport à avant, c’est notre volonté de conquérir le pouvoir ».

Jean-Luc Bennahmias, de l’Union des démocrates et écologistes (UDE), demande à voir : « Il y a beaucoup d’animosité et de rancœurs parfois personnelles dans le petit monde écolo, et l’affaire Baupin a tout envenimé. On ne peut pas dire que la confiance règne, et je ne vois pas pourquoi ça changerait aujourd’hui. » L’ancien secrétaire national des Verts ne veut d’ailleurs plus avoir affaire, de près ou de loin, avec EELV, tant que le parti n’aura pas changé ses statuts.

L’autre écueil possible de la bande des six : la ligne politique que ce rassemblement dessine en creux. Entre la présence de Corinne Lepage, ancienne du Modem et soutien d’Emmanuel Macron en 2017, d’Antoine Waechter, et même de Delphine Batho, ex-socialiste formée par Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray, proche de Ségolène Royal puis de Manuel Valls, l’aiguille de la boussole indique plutôt le centre que la gauche.

Yannick Jadot, qui n’a d’ailleurs que le mot « pragmatisme » à la bouche, enfonce le clou, quand il affirme que soutenir « un écolo de droite » contre « un productiviste de gauche » aux prochaines municipales ne le dérangerait pas plus que cela.

« Martine Billard [ancienne co-présidente du Parti de gauche – ndlr] a quitté les Verts en 2009, car elle craignait que l’écologie ne devienne centriste. Le risque de cette alliance 100 % écolo qui a pour dénominateur commun la lutte pour le climat, c’est qu’elle jette les bases d’une écologie mainstream », souligne Vanessa Jérôme.

Julien Bayou, porte-parole d’EELV, tente tant bien que mal de ménager la chèvre et le chou. « On veut une position de centralité, pas de centrisme, justifie-t-il. À la région Île-de-France, on travaille avec un élu de CAP 21 qui s’oppose comme nous à la politique de Valérie Pécresse ! »

De quoi déstabiliser, peut-être, une partie des militants d’EELV, mais aussi l’électorat habituel des Verts et les nouveaux entrants des Marches pour le climat, qui se positionnent, sinon à gauche, du moins sur une ligne radicale, voire antilibérale. À vouloir tenir tous les bouts, les écolos devront y aller en douceur pour éviter le claquage.

9 juillet 2019 Par