L’écologie, une préoccupation désormais majeure pour les Français

L’environnement devient un enjeu essentiel même chez les seniors, selon l’enquête « Fractures françaises » réalisée depuis 2013 par Ipsos Sopra-Steria

Il est désormais dans le top 3 des inquiétudes des Français. Au cours des deux dernières années, l’environnement, qui n’avait jamais été la principale préoccupation des Français, a progressé de manière quasi continue pour s’installer à la première place dans la dernière édition de l’enquête Ipsos Sopra-Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne.

Les causes de ce renversement spectaculaire sont clairement identifiées : les Français ont cessé d’être des spectateurs lointains des effets du changement climatique (ouragans, fonte des glaces, etc.) et les perçoivent directement : canicules, variations brutales des températures tout au long de l’année, pollution dans les grandes villes, effondrement de la biodiversité, conséquences sur la santé…

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Dans un univers de défiance généralisée, les cris d’alarme des experts et de certains responsables politiques ont soudain pris une résonance et une crédibilité accrue, avec de premières traductions électorales aux élections européennes en attendant celle des municipales. La question est maintenant de savoir si cette préoccupation est une nouvelle frontière, un clivage supplémentaire opposant des catégories de Français dans une société déjà très fragmentée, ou une préoccupation qui se diffuse peu ou prou à l’ensemble de la société. Les éléments mesurés plaident plutôt pour la seconde hypothèse.

Urgence environnementale

Certes, la préoccupation environnementale a toujours une sociologie marquée : les plus inquiets sont les 18-24 ans, les cadres et les professions intermédiaires, les diplômés, les habitants des grandes agglomérations et les électeurs de gauche. Chez eux, elle est non seulement la première préoccupation mais à des niveaux particulièrement importants, 60 % et plus. Et ce sont eux qui, quand on force les Français à choisir entre l’urgence environnementale et la crise sociale, optent pour la première. De quoi conforter l’image d’une écologie apanage du « bobo de gauche aisé circulant à vélo dans les grandes villes et mangeant bio ».

Or, il s’agit là de plus en plus d’un stéréotype qui masque l’essentiel. Et l’essentiel, c’est que l’environnement est la deuxième priorité des plus de 60 ans, avec 49 % de citations, juste derrière l’avenir du système social. Autre fait marquant, c’est également le cas chez les ouvriers et les employés, loin devant l’avenir du système social ou l’immigration, même si le pouvoir d’achat reste bien évidemment leur premier sujet.

Infographie Le Monde

Un indicateur conforté par celui de la classe sociale subjective : 55 % de ceux qui se considèrent comme appartenant aux milieux populaires citent l’environnement comme priorité, juste devant le pouvoir d’achat (54 %). C’est certes moins que ceux qui se considèrent comme faisant partie des privilégiés (61 %), mais autant que ceux qui se considèrent comme appartenant aux classes moyennes (53 %). Si l’on regarde l’indicateur de revenus du foyer, même conclusion : l’environnement n’est plus la préoccupation des gens aisés mais de tout le monde, sauf ceux en extrême difficulté, dont le foyer gagne moins de 1 200 euros.

Tache d’huile

Géographiquement, un autre stéréotype tombe également : il n’y a pas les grandes agglomérations d’un côté et le rural de l’autre mais un gradient très progressif. Si l’on utilise la classification de l’Insee en pôles urbains, 53 % des habitants des communes centres des grands pôles urbains citent l’environnement comme préoccupation majeure, 58 % des habitants des banlieues, 49 % de ceux qui habitent dans le périurbain. Il n’y a que dans le rural pur, les petits pôles, leurs couronnes et les communes isolées que la préoccupation environnementale décroche vraiment (43 %).

Politiquement enfin, 66 % de ceux qui se positionnent à gauche citent l’environnement. Mais c’est également le cas de 65 % de ceux qui se situent au centre. Quant à ceux qui sont à droite ou très à droite, ils ne sont certes que 46 % à citer cet enjeu, mais en deuxième position, à 1 point de l’immigration (47 %). Même chose chez les sympathisants UDI-LR et chez les électeurs de François Fillon : la préoccupation environnementale est moins marquée qu’au PS (60 %) ou à LRM (55 %), mais elle l’est à 47 %, juste derrière l’avenir du système social (49 %).

L’écologie n’est donc pas une nouvelle frontière, elle fait progressivement tache d’huile. Il n’y a que dans une fraction bien précise de la population qu’elle est reléguée loin derrière d’autres sujets, notamment le pouvoir d’achat : ceux qui se qualifient comme appartenant aux défavorisés ou les électeurs de Marine Le Pen. Les Français l’ont d’ailleurs parfaitement compris. Selon eux, le clivage qui oppose les personnes faisant de la question environnementale leur priorité et celles qui en font un aspect secondaire est maintenant l’opposition politique la plus importante aujourd’hui.

Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos

Article paru dans le Monde le 16 septembre

Auteur de Plus rien à faire, plus rien à foutre : La vraie crise de la démocratie (Robert Laffont, 2017