Avant le congrès, les militants d’EELV réancrent le parti à gauche (Médiapart)

18 novembre 2019 Par Pauline Graulle

La motion de Julien Bayou a été placée largement en tête, samedi, du vote des militants d’Europe Écologie-Les Verts en vue du congrès du 30 novembre. Si les enjeux stratégiques sont peu lisibles, la séquence qui s’ouvre montre néanmoins, entre les lignes, une volonté de stopper une possible dérive centriste de l’écologie politique.

Samedi, l’actualité des écologistes s’est déclinée en plusieurs langues. En Allemagne, les Grünen ont réaffirmé leur positionnement centriste et modéré, en réélisant triomphalement deux « realos », Annalena Baerbock et Robert Habeck, à la tête de leur formation. De ce côté-ci du Rhin, ce fut un peu l’inverse : appelés à désigner les 400 délégués qui les représenteront lors de leur congrès, les militants d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) ont envoyé un signal aux plus modérés du parti.

Rassemblant 42,9 % des votants, la motion « Grandir ensemble, l’écologie au pouvoir », porté par l’actuel porte-parole Julien Bayou, est arrivée largement en tête du scrutin. 21,6 % des électeurs ont choisi le texte du secrétaire national adjoint Alain Coulombel, qui plaide pour travailler plus étroitement avec les autres partis de gauche. Cela faisait longtemps que « l’aile gauche » du parti écologiste n’avait pas pesé autant.

Soutenu par la direction sortante, notamment par David Cormand, secrétaire national depuis 2016, Julien Bayou est en position de force pour faire le « rassemblement », passage obligé de l’entre-deux tours. Mais alors que s’ouvrent les négociations qui mèneront à l’élection finale du 30 novembre à Saint-Denis, les trois motions minoritaires accentuent la pression.

Lundi, les chefs des motions concurrentes, qui totalisent à eux trois plus de la moitié des voix, menaçaient de se coaliser pour prendre le pouvoir sur le candidat sortant. « Tout est ouvert à ce stade », glissait, matoise, Éva Sas, l’ancienne députée de l’Essonne. À la tête de la motion « Le temps de l’écologie », la candidate soutenue officieusement par l’eurodéputé Yannick Jadot est arrivée deuxième avec 26,2 % des votes, et n’a pas abandonné ses espoirs de prendre la tête du parti.

« Bien sûr qu’on peut se rassembler derrière Éva Sas. En réalité, Bayou est minoritaire », a renchéri Philippe Stanisière, tête de liste de « Démocratie écolo », une motion tendance « collapsologue », très soucieuse de la démocratie interne, qui a rassemblé 8,5 % des votes.

Alain Coulombel, chef de file de la motion « Le souffle de l’écologie », sera-t-il de l’attelage ? Rien n’est moins sûr. A priori, il semble préférer, pour l’heure, utiliser les 21,6 % des voix récoltés pour faire monter les enchères et pousser son avantage : « Ce qu’on veut, c’est un rassemblement autour de l’idée qu’on va travailler avec la gauche “écologisée”, sans perdre de temps. Et que la direction sortante se dote du dispositif humain qui va avec cette ligne », indique celui qui se targue d’avoir reçu le soutien de poids lourds d’EELV : le maire de Grande-Synthe devenu eurodéputé, Damien Carême, mais aussi Alain Lipietz, ou Yves Cochet.

Derrière les enjeux de personnes et de répartition de postes, le congrès de Saint-Denis s’annonce donc en réalité plus politique que prévu. La direction sortante n’a ainsi pas cessé de répéter que le congrès serait politiquement « ennuyeux ». Que la question posée n’était pas une question de ligne. Que pas une feuille de papier à cigarette ne distinguait, sur le fond, la motion de Julien Bayou de celle d’Éva Sas – lesquelles, il est vrai, rendaient toutes deux hommage au tandem Yannick Jadot-David Cormand, d’où une lecture difficile des résultats de ce premier tour.

« On a fait une non-campagne, souligne-t-on dans l’entourage de Yannick Jadot qui a veillé à se tenir à distance du congrès pour ne pas risquer d’abîmer son image de « présidentiable ». « Les lignes Jadot et Cormand sont parallèles depuis un an, le congrès donne un satisfecit à cette unité stratégique. » « En réalité, on n’a jamais été aussi droits dans nos bottes, ajoute Sandra Regol, numéro deux sur la motion de Julien Bayou. La ligne est claire : les militants ne veulent ni le “ni gauche ni droite” waechtérien, ni l’écologie comme supplétif à un parti de gauche comme on l’a été pendant des années avec le PS. Mais l’autonomie de l’écologie politique. »

Une écologie autonome, certes. Mais qui ne se fera manifestement pas sans un ancrage à gauche. Le fait est que, depuis la rentrée, sous l’effet du congrès, le ton a changé. Yannick Jadot, qui refusait mordicus de classer l’écologie sur l’échiquier politique traditionnel pendant la campagne des européennes, et affirmait, cet été encore, qu’il pourrait soutenir des maires de droite, comme de gauche, aux municipales, du moment qu’ils prônaient « les cantines bio, […] les commerces en centre-ville, [l’accueil et] la mixité sociale, [celle ou celui qui] est devenu écologiste », a mis de l’eau dans son vin.

À Toulouse, en août, lors des journées d’été du parti, il accueillait à bras ouverts le député insoumis François Ruffin. « Mon histoire familiale, elle est de gauche. Je me suis toujours senti de gauche », clamait-il aussi devant les militants réunis dans la ville rose, comme pour les rassurer. Rebelote la semaine dernière dans une interview donnée à Libération. L’eurodéputé y expliquait « ne pas [se sentir] du tout incompatible » avec François Ruffin. L’Insoumis a fait son aggiornamento écolo dans son dernier livre, et ne cesse, depuis, de prôner une « alliance entre les Verts et les rouges ».

Une déclaration qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd : « L’interview de Jadot dans Libération était encore inimaginable il y a un mois », pointe Jérôme Gleizes, conseiller de Paris, et mandataire national de la motion d’Alain Coulombel, qui estime que lui et ses camarades du « souffle de l’écologie » sont « paradoxalement devenus prescripteurs [des enjeux du congrès] alors que nous ne sommes pas aux manettes ».

Il est vrai que, ces derniers temps, beaucoup à EELV ont renoué avec l’usage du mot « gauche ». Lors d’un déjeuner avec la presse, deux jours avant le premier tour, la « jadotiste » Éva Sas soulignait ainsi que si elle portait « la singularité du projet écologique : la radicalité sur les questions environnementales et l’envie de victoire », elle était aussi « une vraie femme de gauche » qui n’avait « absolument rien en commun avec La République en marche ».

Le congrès des Verts accouchera-t-il d’un rapprochement rapide et tangible avec la gauche actuelle ? Le profil politique de Julien Bayou, ancré dans les luttes sociales, ne l’exclut pas. L’ancien activiste du collectif Jeudi Noir œuvra d’ailleurs, en 2014, pour faciliter les discussions entre son parti et Jean-Luc Mélenchon – avant de jeter l’éponge. Il défendit aussi, avant de changer d’avis, l’idée d’une liste commune avec les troupes de Benoît Hamon pour les dernières élections européennes.

« Julien a une vision plutôt proche de la nôtre,même s’il n’a pas voulu fâcher Jadot pendant les européennes », souligne Alain Coulombel, persuadé que « le congrès s’est joué en fonction de notre motion, la seule qui proposait un projet stratégique clair. Le curseur s’est déplacé vers un équilibre plus nuancé que la ligne portée par Yannick Jadot aux européennes, même s’il reste encore du boulot pour faire accepter que nous devons travailler, sans perdre de temps, à former un nouveau pôle avec d’autres militants ».

Pour le secrétaire national qui sera élu le 30 novembre, l’agenda s’annonce en tout cas chargé : élections municipales et sénatoriales l’an prochain, départementales et régionales en 2021, puis présidentielle et législatives en 2022. Les écologistes n’ont jamais eu autant le vent dans le dos ; le prochain patron des Verts n’aura donc pas droit à la faute de carre.